Ecrite par Fernand Crommelynck en 1921, cette pièce réussit le pari fou de mêler plusieurs genre théâtraux à priori incompatibles : la farce ridicule et la comédie de moeurs, l’intrigue érotique et le théâtre de masques, le comique de gestes et le caractère surréaliste des personnages. Bruno est écrivain public, le meilleur du canton, et est marié à la ravissante Stella. Leur amour mutuel est fort et sincère, malgré le fait que tous les hommes du village courtisent Stella; mais la jeune fille est dévouée à son mari, et n’a d’yeux que pour lui. Bruno, lui, voit bien tous ces prétendants qui se pressent à sa porte. Sa brillante et vive éloquence l’emporte facilement, et la paranoïa commence à poindre : le jeune homme est persuadé que sa femme le trompera, d’un jour à l’autre. Pire, pour en être tout à fait certain, il va lui-même obliger Stella à commettre cet acte irréparable. Son épouse, choquée mais soucieuse de lui plaire, finit par s’exécuter. Mais les doutes de Bruno sont de plus en plus persistants, et Stella passe de bras en bras sans jamais se plaindre, au grand dam des autres femmes du village qui finissent par s’insurger et bannir Stella de leur communauté.
Spécialiste du jeu en plein air durant l’été, notamment dans la cour du moulin, la compagnie a décidé d’innover : cette année, le dispositif scénique va s’adapter à une maison entière, celle du meunier, encore présente dans le parc de la Canner. L’architecture des lieux permet aux comédiens une plus grande liberté de mouvement et de déplacement, jouant tour à tour aux fenêtres ou sur le parvis de l’entrée, rendant ainsi la pièce encore plus vivante.
Alternant passages de farce et moments tragiques, la pièce montre le cheminement de la jalousie dans l’esprit malade de Bruno. L’obsession de Bruno va le mener inexorablement à la folie, en broyant au passage Stella (victime réduite à la prostitution et dont on peut se demander jusqu’à quel point elle est consentante). Sur ce thème central se greffent des motifs qui sont récurrents dans le théâtre de Crommelynck : le voyeurisme, la délégation de parole, le jeu de masques, et surtout un profond pessimisme, malgré le côté farcesque de l’oeuvre.
« Comme si un fil était saisi au début de la pièce et, quoi qu’il advienne – et, à chaque fois, ce qui advient est énorme, de plus en plus effroyable et extravagant au fur et à mesure que l’on progresse – il était tiré, débobiné jusqu’au bout. »
Crommelynck
Les costumes
Cahier des charges
Esthétique d’ensemble : étude du costume traditionnel lorrain pour les villageois, particulièrement la vareuse pour le personnage d’Estrugo.
Travail sur des masques de Gilles de Binche pour les scènes de carnaval; dominante de rouge dans les vêtements des femmes (colère).
Couple Stella/Bruno : au premier acte, même camaïeu de couleurs claires pour illustrer leur entente, leur amour commun. Plus les événements s’enchaînent, plus les couleurs se dissocient.
Bruno passe de l’image du fringuant jeune premier à celle de vieillard aigri (le contraindre, l’enfermer dans ses vêtements, comme lui s’enferme dans son obstination).
Allier le côté champêtre à la délicatesse et à la féminité de Stella (rubans, dentelles, nombreux jupons…). Prévoir une ouverture facile sur le décolleté pour la scène du sein.
Travail de patine pour le personnage du Bouvier, un berger qui dort à la belle étoile.
Stella
Costume du 1er acte
Robe en coton beige à motifs fleuris, avec jupon de dentelle.
Jupe composée de superposition d’étoffes (taffetas, jersey, dentelle, mousseline), dans un camaïeu de marron, d’écru et de rose.
Durant cet acte, Bruno défait le corsage de Stella pour dévoiler sa poitrine : utilisation de boutons pressions, dissimulés dans le corsage, pour faciliter l’ouverture.
Costume du 2e acte
Manteau en lainage avec lisières apparentes.
Masque de toile de jute, rapiécé et troué, agrémenté de boutons.
Porté sur ordre de son mari, pour « cacher à la vue de tous ces célestes appâts ».
Le Bourgmestre
Ensemble de ville trois pièces – veste, pantalon et gilet.
Le caractère exubérant et enthousiaste du personnage se retrouve dans le choix du tissu (coton madras).
Canotier de paille avec ruban assorti.
Les masques
Le masque joue un rôle important dans le développement de l’intrigue. L’univers carnavalesque a pour but de montrer le côté factice de la vie sociale et de le dénoncer en s’en moquant. Ambivalence, inversion, déguisement… toutes ces traditions du déguisement sont empruntées au registre du théâtre.
Ici, le rapport de double inversé entre Bruno (le bavard) et Estrugo (le sliencieux), fait partie de ces procédés de jeu carnavalesque. Le moment où Bruno se déguise pour se cocufier lui-même est le point culminant de ce travestissement.
Dans cette mise en scène, une base en plastique de Gille de Binche est commune à tous les personnages, ce qui donne à l’ensemble une atmosphère étrange. Les hommes gardent la momustache et les sourcils proéminents, tandis que les femmes arborent un maquillage plus prononcé. Le masque que porte Bruno est exceptionnellement élargi au niveau du menton pour lui permettre une diction plus aisée.