Pour cette troisième collaboration, la troupe a choisi de revenir à la comédie, et particulièrement sur du vaudeville en un acte : pour le metteur en scène Rémi Barbier, il s’agit de montrer quelque chose de différent, un théâtre souvent moins exploité, mais toujours divertissant et de surcroît, familial. Les pièces sélectionnées sont toutes issues de l’oeuvre de Georges Courteline, observateur avisé de la vie quotidienne. Rémi Barbier assemble quatre de ses saynètes dans un spectacle-montage autour du thème du couple déchiré. Chacun de ces duos propose un ton et une mise en scène radicalement différents. Si le style comique de Courteline se prête à la comédie psychologique, elle s’accorde aussi bien avec le jeu de clowns, la farce ou le mouvement burlesque.
Chaque pièce se déroulant au sein d’un couple, le décor représente naturellement un appartement. Une scénographie évolutive est privilégiée, afin de passer d’un lieu de vie à un autre, mais certains éléments sont communs (un tapis, une table…). On reste dans un cadre d’intérieur particulier bourgeois, mais sans cesse renouvelé, comme si chaque coupe y avait ajouté sa patte. Le lien des quatre pièces est assuré par un personnage pivot : Bernard, le Maître d’Hôtel, qui semble ainsi être au service des quatre couples. Un accessoire, une tirelire, symbolisant la vie matérielle qui ronge les relations sentimentales, se retrouve dans chacune des pièces développées.
La Cinquantaine
Un couple de clochards chante dans la rue, réduit à l’état de mendicité. Complètement ivres et de par leurs querelles incessantes, Benjamin et Elodie n’en finissent pas d’interrompre leurs chansons d’amour qui racontent les joies du couple idéal. Ils se sont rendus insupportables l’un à l’autre avec le temps, et pourtant sont restés, indissociables et résolument indispensables à chacun. Ils arrivent dans un théâtre et prennent d’assaut l’avant-scène au lever de rideau…
Cahier des charges
Vêtements dépareillés, usés, rapiécés… illustrant la précarité
Couches successives, accumulation de vêtements et d’accessoires (mitaines, chaussettes, écharpe…)
Vêtements larges, ajustés à la va-vite
Non-harmonie de couleurs et de motifs
Matières épaisses, souvent synthétiques
La Paix chez Soi
Trielle et Valentine ont des caractères vraiment très différents. Lui, un écrivain de fiction pour les journaux, casanier, économe, calculateur; elle, dépensière, légère, citadine. Leur entente se crispe autour de l’argent que l’homme attribue à sa femme pour les tâches domestiques. Ils sont si différents que leur relation, avec le temps, n’est plus que pécuniaire et matérielle. Comment s’accorder et trouver un terrain d’entente ? Trielle décide de mettre sa femme à l’amende pour la moindre bévue !
Cahier des charges
Le mari : écrivain public, accessoires coordonnés (lunettes, poignets de travail…)
Vêtements étriqués, près du corps, couvrant le plus de peau possible
Dominante de gris ou de marron, couleur « fanée » (si motif, le plus petit possible)
La femme : dépensière frivole et coquette (chapeau, gants, jupons…)
Vêtements plus libres, large décolleté
Gros motifs colorés, en opposition avec le costume de son époux, illustrant leurs différences
La Voiture Versée
Un couple bourgeois habite un immeuble cossu donnant sur… le Bois de Boulogne ! Deux mondes se côtoient ! De leur fenêtre, ils ont appris à survivre en s’inspirant du commerce de la prostitution. Avec la complicité de son maître d’hôtel, l’homme a imaginé pouvoir payer son loyer en piégeant les hommes sur le trottoir, et ceci grâce aux charmes de sa femme. Les promeneurs masculins se précipitent pour secourir une jeune femme aux abois, la raccompagnent chez elle, où elle les séduit, puis les fait lanterner avant que n’arrive le mari, fort à propos…
Cahier des charges
Etude de modèle de chapeaux Gainsborough, tels que décrit dans le texte
Création d’un accessoire démesuré pour chaque personnage prenant part à l’arnaque (noeud papillon pour le majordome, chapeau pour la dame, pantoufles pour le mari).
Respect de la mise du bourgeois : costume trois pièces, canne et pardessus pour les hommes, gants, chapeau et bourse pour les dames.
Les Boulingrin
Les plus belles scènes de ménage de Courteline se trouvent dans les Boulingrin. Des Rillettes, un pique-assiette, essaie de s’immiscer dans l’appartement du couple. Il pense pouvoir passer d’agréables moments chez eux, bien au chaud, pendant une bonne partie de l’hiver; mais il se retrouve au milieu d’une scène de ménage et devient un prétexte de chamailleries supplémentaires, le couple le prenant pour arbitre. La scène bascule dans l’absurde, s’achève dans la destruction totale, avec même un incendie !
Cahier des charges
Esthétique générale : bande dessinée. Les toiles du décor et des costumes seront peintes, dans la mesure du possible, à la main.
Travail sur l’illusion d’optique : les deux premiers personnages auront des costumes « propres », avec un dessin soigné jusque dans les moindres détails, pour induire le spectateur en erreur; c’est lorsque les deux personnages suivants feront leur entrée qu’on comprendra, à l’aspect plus grossier du dessin, qu’il s’agit de vêtements peints.
Travail sur la peinture sur tissu : élaboration des motifs, des teintes, recherche de techniques d’imperméabilisants…
Opposition du couple Mr/Mme Boulingrin : choix de couleurs opposées sur le cercle chromatique (vert contre violet) pour illustrer leur dualité constante.
Les réalisations
Le Gainsborough
« Il cherche à lui baiser les yeux, mais la dame est coifée d’un immense Gainsborough, et, aux bords fâcheusement avancés du chapeau, M. Ledaim se heurte le nez au point que cela en devient vraiment exaspérant. »
Le fameux Gainsborough dont est coiffé la dame dans « La Voiture Versée » était en effet un type de chapeau très à la mode à la fin du 19e siècle, réputé pour être immense et lourdement orné. Les recherches iconographiques de l’époque nous ont donné envie de pousser ce courant plus loin, de créer un chapeau démesuré qui tiendrait « comme par miracle » sur la tête. Cela entretient également une illusion d’optique lorsque la comédienne ôte son couvre-chef : le temps que l’oeil se réhabitue aux proportions initiales, elle apparaît alors chétive et fragile.
Pour réussir à rendre un visuel impressionnant tout en restant physiquement portable, le chapeau fut modelé en papier mâché, avant d’être recouvert de tissus assortis à la robe. Toute l’ornementation a été élaborée à partir de fleurs artificielles.
Les toiles peintes
Toute la technique de ces costumes réside dans la prouesse picturale : il ne suffit pas de dessiner le vêtement, il faut surtout s’assurer que la peinture ne s’étiolera pas avec le temps, surtout sur des vêtements de scène soumis à des éclairages puissants, à la sueur, au maquillage, aux gestes amplifiés et aux lavages. En outre, la scène se termine avec un seau d’eau jeté à la figure de Mr Des Rillettes; il faut s’assurer que le vernis de son costume conserve intégral le motif et la peinture, au risque de voir le vêtement se faner au fur et à mesure des représentations.
Des Rillettes est la figure classique de l’homme moderne de la fin du 19e siècle : long pardessus, gilet à col châle en tartan, pantalon à fines rayures. Les motifs sont légèrement grossis par rapport aux canons de l’époque pour semer le doute dans l’esprit du spectateur. Même démarche pour la tenue de Félicie, son uniforme correspond à celui en vogue dans les bonnes familles bourgeoises. On affirme la fausse nature du couple Boulingrin en reprenant les motifs de Des Rillettes (tartan pour le haut, rayures pour le bas), mais de façon beaucoup plus grossière, presque bâclée.
Pour plus d’unité, l’esthétique « dessinée » devait également s’appliquer aux décors. Des toiles furent donc réalisées, non seulement pour créer des housses capables de recouvrir les meubles, mais également pour habiller les structures roulantes délimitant l’espace de jeu. Ce décor trouve alors un double-emploi, puisque les comédiens peuvent alors les utiliser comme paravent et s’abriter du public.
L’intégralité des créations picturales des décors a été conçue et réalisée par Eric Mie, qui a également collaboré sur les finitions de peinture des vêtements.
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